Faut-il se ruiner pour cette ruine ?
Nous avons tergiversé pendant un bon moment avant de prendre la décision de visiter le site du Machu Picchu : tarifs élevés de l’entrée, nouveau règlement plus contraignant, accès compliqué par la route ou facile mais hors de prix par voie ferrée.
Dans un premier temps, nous avons songé à un boycott, plutôt privilégier un site moins prisé comme le Choquequirao. Ce dernier impose un trek de 5 jours, ce qui nous intéresse fortement mais la météo ne jouera finalement pas en sa faveur.
Que faire ? Quitter la Vallée Sacrée sans voir LE site le plus visité du Pérou ? Rien qu’à l’idée de faire comme tout le monde, je freine des quatre membres et de la mandibule. Je peux me dispenser de voir la création urbaine la plus stupéfiante de L’Empire Inca à son apogée. “Tant pis pour la majestuosité et le caractère mythique de ce sanctuaire”.
A cette annonce, j’ai le sentiment de vivre au sein d’une meute de beagles au bord du suicide collectif. Il va me falloir reconsidérer les choses … .
Les retours d’expériences des autres voyageurs sont unanimes : il faut y aller !
D’accord, mais comment ?
3 solutions s’offrent à nous : en camping-car, en minibus ou en train. La première solution est la plus économique, mais il faut emprunter une des plus dangereuses routes de notre planète (nombreux éboulements en saison des pluies). La suivante, comprend le risque de la première augmenté par l’habileté du “pilote” du minibus. La dernière, plus sûre et confortable, consiste à poser ses fesses sur le skaï des fauteuils du train le plus cher du monde.
Entre risquer sa vie et flatuler paisiblement sur du cuir de vinyle, que choisir …. ?
L’actualité nous a finalement permis d’effectuer notre choix : un éboulement vient de tuer une touriste argentine de 21 ans et d’en blesser trois autres dans un minibus qui se rendait à Hydroelectrica (terminus de la route pour le Machu Picchu). Et ce n’est que le deuxième accident mortel du mois.
Nous filons aux guichets Perurail acheter nos billets pour le lendemain, meilleur jour de la semaine côté météo. Pour un adulte en classe économique, à 10 euros près, c’est le prix d’un TGV aller simple Mulhouse – Nice en seconde classe. Là, le trajet fait deux fois 41 kilomètres … . Par chance, c’est moitié prix pour les enfants.
Nous avons nos billets d’assurance-vie, demain nous ferons la visite avec le groupe de l’après-midi. C’est plus économique car pas besoin de dormir à Aguas Calientes et surtout, ça permet (paraît-il) de jouir d’un site moins fréquenté. Il n’est plus possible de passer une journée complète sur place, c’est matin ou après-midi. Enfin si … en payant 2 billets d’entrée.
Nous avons choisi d’acheter nos billets à Aguas Calientes, au dernier moment. Il est souvent conseillé de réserver ses billets à l’avance, sous peine de ne plus avoir de place. C’est vrai uniquement si vous choisissez de faire les randonnées “Montagne Machu” ou “Wayna Picchu”. Mais pour un accès simple au site, achetez à Aguas Calientes le jour “J” ou la veille. La météo des lieux étant incertaine, vous pourriez faire une visite sous une pluie battante et/ou dans un brouillard armoricain. Autant aller voir Inca d’Or courir à l’hippodrome de Morlaix, ça vous coûtera beaucoup moins cher, pourrait même rapporter gros en misant bien.
Le réveil sonne, il est six heure du matin, le train part dans moins de deux heures. Tout le monde est excité à l’approche de la visite de la Cité Perdue.
Nous sommes sur le quai, le vieux train bleu et jaune est déjà en gare. Une organisation rodée, dont nous ignorions l’existence dans ce pays, nous fait monter à bord.
Le parcours dans la vallée, longeant l’Urubamba, est un plaisir pour les yeux. Des fenêtres sur le toit du wagon en facilitent la vision.
Arrivés à Aguas Calientes, nous achetons nos billets pour le site et c’est parti pour une bonne heure de montée : un chemin de 1716 marches de pierres évoluant dans une forêt tropicale. Le soleil et l’humidité sont de la partie. La hauteur inconstante des marches varie de élevée à très élevée.
Il est 11h30, nous sommes à la porte du Machu Picchu. Nous devons attendre midi mais nous tentons une entrée anticipée. Ça passe, nous y sommes, il faut encore monter quelques marches, c’est interminable, épuisant. Nous “trottinons” d’impatience, zigzaguons entre les groupes de visiteurs paralysés par l’effort.
Plus que quelques mètres avant d’accéder aux premières terrasses qui offrent LA vue, celle que tout le monde connaît depuis sa plus tendre enfance. Fini les photos sur papier couché satiné 180 grammes par mètre-carré, aux oubliettes les images de tubes cathodiques et autres écrans à polarisation de lumière et biréfringence de cristaux liquides en phase nématique ! À nous le réel, les cinq sens. On veut voir sa majestuosité, toucher la rugosité de sa pierre calcaire, sentir les effluves de sa végétation subtropicale, entendre gronder l’Urubamba et goûter au privilège d’être là.
Nous y sommes, face à lui, perché dans son écrin de jungle amazonienne.
Mais … je dois vous avouer que l’émotion n’est pas venue immédiatement. Le soleil boude derrière une importante masse nuageuse arrivée en même temps que nous. On a bien l’image, mais elle est fade, plate, sans relief. La masse de visiteurs est assez importante, oubliant vite toutes les interdictions du site : perches à selfies, tripodes pour appareils photos, casse-croûtes, etc … . Il faut jouer des coudes pour se frayer un chemin au bord des terrasses, patienter lors des interminables poses de pin-up de l’occasion, ou plutôt pin-up d’occasion (j’ai failli écrire “d’occasion qui fait le lardon”, mais je ne l’ai pas fait … car ce ne serait pas gentil).
Nous poursuivons notre visite par une ballade sur l’autre versant qui mène au pont de l’Inca, jadis point de contrôle de l’entrée ouest du Machu Picchu. Personnes atteintes d’acrophobie : s’abstenir ! Le sentier, parfois étroit, serpente à flanc de montagne et le vide est proche. Il ne faut pas trébucher sur l’irrégularité des pierres qui composent le sol.
Retour à la citadelle. Il est 16h00 et le site est quasiment vide. On a le sentiment d’avoir le Machu Picchu uniquement pour nous. Là, instant magique. Le soleil perce les nuages sous un angle intéressant. La cité prend du relief, les contrastes ressortent sur un silence digne de l’ordre cistercien de la stricte observance : l’émotion est à son comble !
On pose tranquillement nos brioches sur l’herbe grasse, les yeux rivés sur le promontoire rocheux, la protubérance du Wayna en ligne de mire. Un jeu de lumière, suivant la position des nuages, met en valeur tour à tour les différents quartiers de la citadelle.
Après une visite intra-muros, nous quittons les lieux pour rejoindre Aguas Calientes par les mêmes 1716 marches.
A noter que si le jour de la visite, vous êtes atteints d’une cystite ou d’une gastro, attendez d’être guéris. L’endroit ne comprend qu’un seul sanitaire (payant) et il est situé à l’extérieur du site. Avec le billet, on a le droit qu’à une seule sortie … sinon, portez des couches !
Et pour répondre à la question “Faut-il se ruiner pour cette ruine ?”, je vous laisse interpréter le texte ci-dessus.
5 commentaires
Magnifique j’en prends plein les yeux alors j’imagine en vrai!!
Extraordinaire
Les photos sont magnifiques j’en profite pleinement parce que j’ai le vertige !!!
Vous m’auriez perdu en cours de route
Pour l’avoir fait, je vous aurais évidemment dit d’y aller: pour une fois un site « touristique » vaut le coup …. nous avions aussi commencé la journee sous les nuages et le soleil s’est pointé un peu plus tard… du coup c’est vraiment magique! Contente que vous l’ayez vécu aussi! On avait d’ailleurs croisé un espèce de chinchilla dans les ruines. … plus sympathique que les milles pattes ! 🙂
Magnifique ! Et ça aurait été dommage de passer à côté de cette merveille .
Magnifique ! Mais moi, ça serait en bombes de ventoline que je me serais ruiner !