Huis clos
Après notre journée au salar, nous décidons de passer la nuit à l’entrée de l’aéroport. Pour plus de calme et éviter d’entrer à nouveau dans Uyuni, où les rues doivent probablement avoir trente centimètres de boue suite à l’orage.
Nous nous garons donc dans l’enceinte de l’aéroport, près de l’entrée de la base militaire d’aviation. Je prends soin de bien placer le camping-car pour ne pas gêner la circulation des entrées et sorties de l’aéroport. De toute façon, il ne devrait pas tourner la nuit.
L’orage se calme peu à peu. Il est tard et tout le monde dort : il faut que je me couche.
02h28, on frappe à la porte. Je me réveille et descends rapidement de la capucine pour ouvrir. Je suis là, en slibard et gueule enfarinée devant trois militaires en tenue de … militaire.
“Salut les filles, alors c’est carnaval et on va faire la gué-guerre ?” … non je déconne, je n’ai pas dit ça !
“Qué pacha ?” Fis-je en bâillant.
Ils veulent que j’avance un peu le véhicule, car ils estiment que l’arrière est trop proche de la voie où aucun véhicule ne circulera de toute la nuit … . J’exécute en avançant péniblement le camping-car de 20 cm dans le sable et me recouche.
Manue, à moitié réveillée : “Qu’est ce y veulent, j’ai rain compris !”. Moi, à moitié énervé : “Rien, c’est juste des militaires qui s’ennuient !’
Nous essayons de nous rendormir. 3 coups retentissent. Pétards, séance de tirs à la caserne ? À 3h00 du mat ?! Bizarre, mais en Amérique du Sud tout est possible. Le reste de la nuit sera perturbée par de multiples séries de 3 coups de … nous ne savons pas quoi.
Au matin, pendant le petit-déjeuner, nous observons une file de véhicules arrêtés sur la voie principale. Un barrage de manifestants bloque la route qui mène à Uyuni. L’embranchement qui dessert l’aéroport se trouve juste après. Ouf, coup de bol, nous pouvons partir en direction de Potosi.
Craignant de voir le barrage se décaler au niveau de l’embranchement, je décide de quitter les lieux rapidement. Nous traversons Uyuni maculé de boue pour rejoindre la route de Potosi.
09h30, nous arrivons à un péage où le guichetier au regard fuyant me demande notre destination. « Euh … diez kilómetros … no más ». Honnêteté française … . On nous a fait payer cher, celui de la veille pour la petite poignée de kilomètres qui mènent au salar. Comme partout en Amérique du Sud, le gars regarde si l’on est équipé de roues à l’arrière, ou plutôt combien nous en avons. Ça détermine le tarif, et plus il y en a, plus on paie … . Je vous épargne la fois où, près de Santiago du Chili, j’ai bloqué la voie d’autoroute pendant un bon moment pour contester le tarif élevé que nous devions payer pour avoir des roues jumelées.
Nous payons et reprenons la route pour … un gros kilomètre. Une belle guirlande de camions orne la montagne d’en face, nous arrivons soudainement sur un barrage de pierres. « Et mxxxe ! ». Les manifestants bloquent également cette route. Là, je pense au guichetier du péage qui aurait pu nous prévenir de la situation. Honnêteté bolivienne. Je grimpe à pieds avec Jozeph pour aller questionner les contestataires postés 200 mètres plus haut.
« Quanto tiempo per … ? » … « Indefinido, 2 o 3 días, no sabemos ! » … » Ok … y es posible estacionarse aquí ? » (Je montre un emplacement plat au bord de la route à quelques mètres de leur QG) … « No ! ».
Bon, ça commence bien. Nous descendons au camping-car annoncer la bonne nouvelle. Nous sommes arrêtés sur une voie en pente, c’est assez pénible. Je décide de monter quand-même avec le véhicule jusqu’à l’emplacement plat, en prenant soin de replacer les pierres du barrage derrière nous. Nous sommes vite accueillis par 2 membres de la délégation qui nous stoppent et nous ordonnent assez désagréablement de redescendre immédiatement. Il y aurait risque de jets de pierres.
Retour 200 mètres plus bas. Nous allons nous occuper le temps que la situation se libère.
Bizarrement, nous sommes les seuls à attendre du côté Uyuni, comme si l’information était passée, mais pas partagée avec tous. Arrivent sporadiquement quelques autos et motos, mais ces dernières font immédiatement demi-tour. Un couple de brésilien se pointe derrière nous.
L’heure tourne, rien ne bouge. Une mécanique de prise en charge des passagers des bus se met doucement en place. On assiste à des chassés-croisés de voyageurs et locaux, quittant les bus bloqués en amont pour reprendre ceux en aval, et vice versa. Cela ne plaît guère à l’organisation en place qui décide de créer un barrage plus bas, vers le poste de péage. Nous sommes pris en otage. Il ne nous est plus possible de faire demi-tour.
Ce n’est pas grave, nous avons des vivres pour plusieurs jours, et de quoi nous occuper.
12h05. La police arrive. Super ! Elle va nous débloquer rapidement de cette situation. Leur pick-up s’arrête à notre hauteur, deux agents en sortent armés de leurs smartphones … . Un tout nouveau modèle j’espère, avec sabre rayon laser intégré … » Allez les jedis, au combat ! Maître « Ayuda » sors-nous de là ! »
Nada, ces touristes estampillés « policia » sont seulement venus faire quelques vidéos et photos de la belle guirlande de poids lourds. « Ooooh ! Elle est où la bande de mercenaires postée plus haut dans le désert ? Faites venir en renfort ces déménageurs de l’extrême !!! Attendez, emmenez-nous au poste !!! Nous sommes en infraction … complètement torchés … 3 litres de chicha chacun au petit-déjeuner … allez les gosses, faites la gueule aux flics !!! Muerte a las vacas ! Muerte a las vacas !
Rien ! Ils partent sans même établir de contact avec les belligérants … .
14h12. Notre co-detenu brésilien vient établir le contact. Il est allé aux informations : ça peut durer 5 jours comme 2 heures. Super, c’est précis, merci !
18h22. La nuit arrive doucement, les orages avec. Cette fois c’est sûr, c’est coutume locale. Alors orage du soir, espoir ?
19h03. Il pleut très fort, l’orage gronde. Les enfants nous font savoir qu’un groupe de clandestins s’abrite derrière le camping-car depuis un bon moment. « Ah bon ?! » Fis-je étonné. « Et y a t’il un bébé dans le groupe ? » … « ah bin oui hein ! » Me répondirent-ils. Exaspéré, je sors inviter la mère tenant l’enfant bien enveloppé à venir se mettre à l’abri. Chose qu’elle accepta sans hésitation. Elle se pose pour allaiter le glouton énervé : difficile de calmer le nourrisson. J’ai une barre de 3G sur mon portable, me connecte à Deezer et télécharge « Au clair de la lune » version piano. Le mouflet se calme, ouvre de grands yeux interrogatifs. Le silence est revenu, nous proposons jus et gâteaux à la mère. Le père arrive, je l’invite à venir s’assoir mais le bus est là, ils doivent rapidement descendre le rejoindre.
20h43. J’offre à nos compagnons de file brésiliens, de quoi grignoter : tomates, pain, fromage et gaufrettes.
21h12. La pluie bat de plus en plus fort. On toque à la porte. J’ouvre et entends dans la nuit une voie m’implorant le dispositif ORSEC. Je passe la tête par la porte, aperçois 1, 2, 3, 4 personnes chargées comme des mules et trempées jusqu’aux os. « Bien, entez vous mette OSEC » … J’ai un poblème avec mon clavie ! Il manque une lette. Je descends afin de pête main fote pou les bagages. Penez l’accent aficain, c’est encoe plus dôle !
Ok, les plus courtes sont les meilleures, reprenons sérieusement. Je ne vois pas bien comment nous allons pouvoir faire entrer tout ce monde, mais ça finit par rentrer. Nous sommes en compagnie de jeunes voyageurs allemands et espagnols. Une jeune demoiselle craque et part en pleurs.
Avec Manue, nous restons debouts. Je vais pour fermer la porte, un couple de boliviens est là … empêchant la fermeture. « Heu …. completo ! » … Ils ne bougent pas … « Ok, montez ! ».
Nous sommes dix. Les enfants sont au fond dans leur espace VIP. Le reste concentré à l’avant du camping-car. Ça sent l’animal, l’oxygène à cette altitude manque. Nous essayons péniblement de communiquer pendant que l’autre chiale encore.
Nous proposons à boire et à manger. Nous expliquons que le bus qu’ils doivent prendre est à env. un kilomètre plus haut. Nous attendons que la pluie cesse et le groupe part en direction du bus. Le groupe … sauf notre couple de boliviens. Nous ne comprenons pas bien, ils ne vont visiblement pas dans le même sens et quelqu’un doit venir les récupérer. L’ambiance est assez particulière, ils ont oublié de sourir et difficile pour nous d’engager la conversation. Nous nous armons du dictionnaire et composons quelques phrases pour briser la glace. Lui n’a visiblement pas inventé le beurre mou, à chaque question il nous répond « Si » puis regarde sa femme pour la suite de la réponse.
23h32. L’heure tourne, Manue s’impatiente car elle aimerait dormir. « Mets les dehors, il est tard ! ». Nos boliviens s’installent, sortent couvertures et se couchent. « T’es marrante, je ne vais pas les mettre dehors comme ça ! Je vais rester là et on verra, va dormir ! ». Manue monte dans la capucine et se couche.
00h17. Mes chers boliviens dorment à poings fermés, je pique du nez car la nuit dernière fut difficile. J’entends une voiture monter, il y a de grandes chances qu’elle redescende aussitôt vu le barrage en place. Je tente de réveiller nos hôtes, demande à Manue de poursuivre pendant que je sors arrêter le véhicule. C’est la police, je me mets au milieu de la route mais le pick-up ne daigne ralentir ni même vouloir m’éviter. Je m’écarte par pur instinct de survie et les regarde s’éloigner.
Bon, s’ils montent, c’est qu’ils vont bientôt descendre. Je prends une frontale, me reposte au milieu de la route en braquant ma lampe. Ils arrivent et enfin s’arrêtent. Je maintiens ma lumière, pointée vers leurs visages en criant « Vous allez parler ?!!! ». Naaan, arrêtez de me faire écrire n’importe quoi ! Je leur explique que nous avons un couple de boliviens à descendre sur Uyuni et qu’il reste de la place dans la benne de leur pick-up. Ils me demandent s’il s’agit de personnes en difficulté ou d’enfants. Là arrivent nos « refugiés » (pas réfugiés, Ok ?), je les invite à s’approcher de la voiture de police pour expliquer leur besoin. Ils s’avancent timidement, échangent 2 ou 3 mots et laisse le pick-up partir sans eux.
Sur le moment, j’aurais aimé être l’Incroyable Hulk, faire craquer ma chemise pour attraper le pick-up et le vider de ses encasquettés. Puis y installer notre paire de boliviens en leur disant : « Bon retour, vous pouvez mettre la sirène à fond ! ».
Toutes les lumières du camping-car sont éteintes, les portes fermées à clé, Manue nous a mis dehors ! (Instinct maternel). Je monte au barrage en espérant que pendant ce temps, nos paumés prendront la décision de descendre à pieds sur Uyuni, comme le font plusieurs groupes venant du dernier bus en amont. La scène au barrage est assez suréaliste : plusieurs voitures barrent la voie, des tas de pierres ici et là. Un énorme feu brûle sur le côté, des gens s’agitent autour, je ne m’attarde pas.
01h02. Je me couche, nous verrons bien demain comment cela évoluera.
03h39. On frappe à la porte du camping-car. Je me réveille comme en sueur, me lève, ouvre la porte en tonitruant « On ne va pas me laisser dormir dans ce pays de m…. » …. « Hola amigo ! Truks go down, the road is open ! ». C’est notre Brésilien de derrière qui nous annonce que le barrage est levé. « Muchas gracias ! Buen viaje ! ».
Je passe la zone du barrage, le feu brûle encore, il faut slalomer dans les fumées des poids lourds, entre les pierres laissées là sur plus d’un kilomètre. Je roule jusqu’à 05h30 du matin pour nous tenir loin de la civilisation. Bloqués pendant 18h00, nos débuts en Bolivie semblent difficiles, mais disons que ça fait partie du voyage … .
Hasta la vista !
7 commentaires
Hé ben c’est digne d un film d’aventure vous auriez dû faire un stage des forces spéciales ,mais bon tout est bien qui fini bien,bonne continuation .
Farid
Ça manquait de bosser de nuit, manue t’as donné l’envie de veiller !! en tout cas, j’étais avec vous la, qu’elle aventure !
Coucou Jean Philippe : finalement il y avait des brésiliens sympa sur cette route !
Bon sang! Je vous souhaite que le reste de la bolivie soit plus plaisant. Bonne route!
Bonsoir, vous avez été formés pour tenir le coup, le voyage en vaut la peine, je crois que vous n’avez pas le temps de vous ennuyez, bon voyage ! bonne continuation sans sursaut et sans orage ! besitos a todos, nos companeros.
Pas mal d’activité on dirait ! même la nuit ….finalement ces pétarades de nuit, c’était quoi ? Bonne route
Bonne question, j’ai oublié d’en parler : il s’agit de pétards utilisés par les manifestants. Probablement un moyen de communication … ou simple divertissement.